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Le libertarianisme: ce cheval de Troie de la votation No Billag du 4 mars 2018

4 mars 2018 : quelle journée !
Malgré d’importants enjeux européens, avec sur notre côté sud la grande coalition en Allemagne – acceptée par les membres du SPD à 66% et ouvrant enfin la voie à la formation d’un gouvernement après 6 mois de statut quo – et sur notre côté sud les élections en Italie qui ont vu la confirmation que les partis populistes n’ont pas que de bons jours en Mitteleuropa, notre petite votation appelée par son petit nom – NoBillag – , plus précisément l’initiative populaire « Oui à la suppression des redevances radio et télévision », a fait le tour des médias européens. Comme souvent, ce qui étonne à l’étranger, c’est autant le fait que le peuple soit souverain sur ce genre de questions, que le résultat du peuple souverain semble aller à l’encontre des intérêts individuels, ici que l’on accepte de payer une redevance !

— Capture d’écran du site d’information de la RTS

La démocratie suisse n’est évidemment pas parfaite – entre autres nous votons souvent, pour tout et parfois avouons-le pour n’importe quoi -mais elle a ce petit quelque chose d’élevant dans la citoyenneté : elle implique une maturité démocratique assez exigeante, celle d’accepter la décision majoritaire tout en sachant que l’ouvrage peut être remis sur le métier, que ce soit du côté politique comme celui du citoyen.
Les initiateurs NoBillag, de jeunes libertariens qui s’ennuyaient un soir autour d’un verre pris au bord de la Limmat, certainement eux-mêmes étonnés du succès qu’ils ont eu et de la tempête qu’ils ont déclenchée, ont très vite été récupérés par la frange extrême-droitisme de l’UDC. Que cette initiative, en prenant les citoyens pour des consommateurs décérébrés (le leitmotiv des jeunes libéraux étant le simplet : « pourquoi on paierait pour ce qu’on ne consomme pas ? »), non seulement s’attaque aux fondements du pacte de cohésion fédéral mais livre les citoyens aux médias étrangers pour s’informer n’a pas sauté aux yeux de nos patriotes tout aveuglés qu’ils sont par le prisme de leur équation atavique : service public = gauchisme.
Et c’est ici que nous revenons au « côté élevant » de la démocratie suisse. L’UDC n’a pas beaucoup aidé ces dernières années à élever le débat démocratique en Suisse, entre autres avec ses initiatives – et ce qui va avec : affiches, discours, professions de foi – xénophobes et racistes, ainsi que, dans la veine de l’internationale des populistes, allant de la Mitteleuropa aux États-Unis en passant par les Philippines, l’attaque, lorsqu’ils sont en difficultés et/ou perdent une votation, pêle-mêle contre les médias, les droit-de-l’hommistes, les gauchistes, etc., pour, en dernier ressort, s’en prendre aux citoyens qui ont mal voté. Cette votation perdue ne fait pas exception, mais ce qui est intéressant, c’est le fait que les libertariens, cette branche au bout du bout libéral, dont nous vous avions parlé en 2009 lors de la présentation à la Berlinale du documentaire canadien de 160 minutes L’ENCERCLEMENT – La démocratie dans les rets du néolibéralisme de Richard Brouillette qui décortique très bien l’idéologie qui sous-tend le mouvement, d’ordinaire discrets et préférant les couloirs feutrés des lobbies et les rapports discrets des thinks tanks, se retrouvant pour une fois sur le devant de la scène, se sont comportés comme n’importe quel autre populiste pris au piège du résultat démocratique rejetant ses ambitions : accuser le citoyen de n’être qu’un mouton incapable de décider par lui-même.
Un bel exemple sur ces quelques tweets de Martin Hartmann, un banquier de Zurich, membre de Up!Schweiz, qui se présente comme « le parti politique indépendant » avec pour slogan « nous aimons la liberté » :


(…)

(…)
etc.

Martin Hartmann pourrait être un clone de Martin Masse et Jean-Luc Migué du chapitre 4 du film de Brouillette où ils exposent leur vision du libertarianisme qui met l’accent sur « la liberté individuelle tout en prônant une extrême limitation des pouvoirs de l’État », et  dénoncent « l’inefficacité de l’État et l’injustice engendrée par ses actions coercitives, tout en louant le droit de propriété privée et l’efficience du libre marché. »

Par les temps qui courent, nous avons tendance à concentrer notre attention sur les extrêmes-droites qui ne cessent d’étendre leurs paroles et actes malfaisants dans nos sociétés. Il est un danger tout aussi pernicieux, même si plus silencieux, qui essaie de phagocyter à tous les niveaux les biens communs et le service public. Le libertarianisme.

Malik Berkati

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