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Nouveau cinéma français: 5 réalisatrices à l’honneur au Kino Arsenal lors la Semaine du film français de Berlin

Dans la cadre de la Semaine du film français de Berlin, l’Institut allemand du film et de l’art de la vidéo présente dans son cinéma, le Kino Arsenal, une série de films avec pour intitulé « Neues französisches Kino » (Nouveau cinéma français). Cette année, cette série de cinq films est dédié à cinq réalisatrices qui offrent au grand public allemand, habitué aux grandes comédies « à la française » ou aux histoires-décors pariso-parisienne de la classe moyenne, un autre visage du cinéma français, tout comme de la France, ses territoires et ceux qui les habitent.

Milla de Valérie Massadian

Pour une entrée en matière dans la périphérie de la fantasmagorie de la France pariso-parisienne, voire germanopratine, c’est une entrée en matière ! Matière humaine et matière d’atmosphère qui nous plonge avec subtilité mais implacabilité dans la vie d’une jeune femme qui, selon les normes actuelles néolibérales, ne compte pas mais n’en reste pas moins exemplaire de la force de résilience de l’être humain. Milla n’est assurément pas « première de cordée », section de la société que le nouveau président français aime à consacrer, non, elle serait, selon la vision du monde macronnienne, plutôt dans la dernière section de cette cordée délétère : sans toit ni loi, maraudant au jour le jour les nourritures organiques de la vie et de l’esprit.

— Luc Chessel et Séverine Jonckeere – Milla de Valérie Massadian, 2017
Image courtoisie Arsenal

Ce film, présenté au dernier festival de Locarno dans la section Cineasti del presente, est un petit bijou de finesse, de coexistence naturelle d’oxymores tels que la candeur désenchantée, la légèreté et gravité de l’histoire et des protagonistes, tout comme le traitement par touches impressionnistes dans une composition expressionniste du déroulé narratif (à noter de très belles incises de gros plans sur Milla et Léo, instantanés expressifs de leur vie intérieure), de la photographie et des cadres. Les scènes sont de véritables tableaux qui jonglent avec les angles, les prises de vue intérieures vers l’extérieur et vice-versa, un travail de la matière (étoffes, buée, bougies, vitres cassées, etc.) qui permettent de jouer avec la lumière, magnifique et magnifiée, et mettre en contraste la chaleur de l’intimité dans un environnement froid.

Tout en fluidité elliptique, Valérie Massadian accompagne le chemin quasi rituel d’une jeune femme vers sa condition d’adulte. La première partie se concentre sur le couple formé par Milla et Léo qui s’inventent une vie au bord de la mer dans une maison abandonnée. Milla est joyeuse, joueuse, Léo plus grave mais finit toujours par céder à l’élan de sa compagne, non sans avoir pleine conscience du moteur de leur relation : « tu flottes ; j’ai des tonnes dans les pieds ; soulève-moi un peu Milla. », dit-il en aparté de leur histoire.  Le décor du film est dépeuplé et assez désolé. Il le devient encore plus lorsque Milla, enceinte, glisse dans la seconde partie, sans Léo. Jusqu’à présent en autarcie à deux, elle va devoir trouver un chemin pour s’inscrire dans le cours de la vie et ré-enchanter son monde pour le petit être à naître. La force de la cinéaste est, ici, de ne pas nous imposer un combat héroïque ou au contraire perdu d’avance, mais un engagement au jour le jour qui pousse petit à petit les choses qui se mettent en place. La troisième partie engage Milla et son fils dans un devenir ouvert.
La beauté de ce que nous montre Massadian tient également dans les relations humaines où l’agressivité et l’hostilité ne sont pas érigées en norme mais où la bienveillance retrouve sa place naturelle, non spectaculaire, à travers de petites conversations et attentions, celles qui au quotidien font la différence.

Milla, c’est la merveilleuse Séverine Jonckeere, c’est aussi un peu son histoire, ce qui exhale cette authenticité, cette sensation de légèreté et spontanéité dans le jeu – particulièrement les scènes avec son bébé qui est son propre fils,  tout en étant parfaitement dirigé et maîtrisé dans le cadre de la réalisatrice. Au terme de cette histoire qui s’ouvre sur l’avenir, le spectateur sort avec un sourire sur les lèvres, confiant pour les protagonistes, car les belles forces et fragilités de Milla filmées par Valérie Massadian sont assurément celles de Séverine Jonckeere.

Vendredi 1er décembre à 20h, en présence de Valérie Massadian pour une discussion avec le public ; et mercredi 6 décembre à 21h.

Grand Central de Rebecca Zlotowski

Pour un deuxième film (le film est de 2013, depuis elle en a tourné un troisième en 2016, Planetarium), Rebecca Zlotowski a réuni une brillante distribution avec Tahar Rahim, Léa Seydoux et Olivier Gourmet pour têtes d’affiche.
La réalisatrice joue avec la métaphore de la fusion, celle du cœur d’un réacteur de centrale nucléaire où travaille Gary en tant que journalier, et celle de la passion amoureuse, lorsqu’il est happé par l’attraction irrésistible de la femme d’un de ses collègues. La métaphore est belle mais un peu facile. Le film aussi, même si la représentation du monde des travailleurs précaires dans un environnement dangereux est très intéressant et très bien filmée – en numérique alors que l’histoire que se déroule à l’extérieur de la centrale est tournée en analogique.

 

Samedi 2 décembre à 19h.

Jeune femme de Léonor Serraille

Encore une belle relation entre une réalisatrice et son actrice, Lætitia Dosch, et son personnage Paula, ce qui a d’ailleurs valu à Léonor Seraille la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes.

—  Laetitia Dosch – Jeune femme de Léonor Serraille, 2017
Image courtoisie Arsenal

Et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance, l’histoire ayant un goût de déjà-vu : Paula, bien mariée, débarque à Paris mais se fait larguer et se retrouve à la rue avec le chat de son ex-mari. A partir de là, nous suivons les pérégrinations de ce personnage avec son chat dans la ville et sa nouvelle vie.
La réussite du film tient plutôt dans la mise en scène de Léonor Seraille, menée avec beaucoup d’habilité, et son écriture du portrait de cette trentenaire, qui avouons-le nous est parfois insupportable, se cherchant dans les arcanes de la vie, ainsi que dans son incarnation baroque par Lætitia Dosch qui tend vers la gémellité actrice/personnage. Paula, comme la caméra qui la suit, sont toujours en mouvement, en déplacement et lorsque Paula passe quelque part, le spectateur se fait également passant du Paris d’aujourd’hui et de ses réalités sociales. Cette impression d’avoir fait un voyage d’une heure et demie dans une vie, une ville et ses strates participe également de la réussite de ce film qui parvient à parler de la dureté de la société actuelle avec une belle impertinence.

Samedi 2 décembre à 21h et mercredi 6 décembre à 19h

Suite armoricaine de Pascale Breton

Françoise est historienne de l’art avec un bon poste à l’université à Paris, mais, à la totale incompréhension des gens qu’elle connaît ou pas (mais qui aurait l’idée de quitter le professorat parisien pour celui de la province?!) , elle décide de prendre un poste à Rennes, dans la faculté où elle a fait ses études. C’est comme une nouvelle vie qui s’ouvre pour Françoise, puisqu’elle laisse derrière elle une ville qui lui donne de l’urticaire – « quand je suis à Paris, je me gratte ; dès que je sors de Paris, cela disparaît», explique-t-elle a une amie de jeunesse – mais retourne dans une autre dont elle a perdu totalement le souvenir. Elle semble coincée dans un monde de l’entre-deux, un cocon protecteur qu’est son métier et son sujet de prédilection : l’Arcadie, ce pays mythique idyllique. Nous assistons ici à une sorte de chemin initiatique à l’envers devant la mener à la personne qu’elle était à 20 ans. Parallèlement, il y a Ion, un jeune étudiant en géographie, amoureux d’une camarade de faculté aveugle, qui cherche désespérément à éviter tout contact avec sa mère sans domicile fixe. Le nom du jeune homme fait inévitablement penser à l’élément chimique qui, étymologiquement, en grec  ancien, signifie qui va. Et son parcours à lui, au contraire de Françoise, est celui de sa fuite face à son enfance qui le rattrape. Comme la particule chargée électriquement, Ion doit se trouver entre le gain et la perte d’un ou plusieurs électrons qui sont constitutifs du cours de sa vie.

— Valérie Dréville – Suite armoricaine de Pascale Breton, 2015
Image courtoisie Arsenal

A travers une structure d’enchevêtrements des époques et des temps, des lieux et des espaces, des domaines d’études et des perspectives, Pascale Breton crée lentement un univers cohérent et réel, traversé par des ombres et des fantômes, où les gens et les choses se croisent, recroisent et décroisent comme les fils universels de la vie. L’histoire de l’art, parfois de manière un peu trop pompeuse, appuyée ou facile, tient un rôle à part entière de révélateur à la mémoire et à la philosophie de vie, tout comme la musique et le retour actuel à l’usage de la langue bretonne. Certaines scènes répétées alourdissent légèrement le film; ce qui se veut une multiplication de points de vue donne plutôt une sensation d’élongation artificielle qui n’apporte pas grand-chose à l’ensemble, qui finit en outre un peu en queue-de-poisson. Le voyage polyphonique n’en reste pas moins intéressant pour ceux qui adhèrent au dicton : « peu importe la destination seul le voyage compte ».

Dimanche 3 décembre à 19h30 et mardi 5 décembre à 19h30.

Le bois dont les rêves sont faits de Claire Simon

Le bois de Vincennes, le plus grand espace vert de Paris, est comme un petit monde où l’on y rencontre, venant de tous horizons, toutes sortes de personnes qui deviennent personnages dans la cinématographie de Claire Simon. Entrer dans ce bois, c’est faire un voyage exotique dès la sortie du métro. Outre les citadins qui s’y promènent en famille ou viennent respirer un peu en dehors du tumulte de la ville, on y retrouve des gens qui viennent y faire la fête en communauté, ceux qui s’y retrouvent pour des rencontres fugitives, des excentriques, des marginaux, des rêveurs, ou la réalisatrice Emilie Deleuze qui revient sur les lieux en friches de l’Université populaire où son célèbre philosophe de père Gilles avait enseigné dans les années septante. La caméra de Claire Simon officie un peu comme un attrape-rêve et, petit à petit – le film dure 2h36 ! -, au fil des saisons et des rencontres – la cinéaste n’a pas son pareil pour mettre en confiance ses personnage et nous mettre à leur écoute – , elle nous révèle un univers où les limites de l’imaginaire et de la réalité se floutent.

 

Lundi 4 décembre à 19h30

Malik Berkati

Du 1er au 6 décembre 2017 au Kino Arsenal. Tous les films sont en version originale sous-titrés anglais : http://www.arsenal-berlin.de/kino-arsenal/programm/einzelansicht/article/6948/3006.html

http://www.franzoesische-filmwoche.de/

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Malik Berkati

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