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Berlinale 2016Cinéma / KinoCulture / Kultur

Palmarès 66è Berlinale très politique, trop politique(ment correct)?

Edité à 11h45 le 21-02-2016.
[Les reproches continuant sur Twitter concernant le titre de ce compte-rendu de palmarès, voilà une 2è mise au point:Non seulement ce palmarès est mal équilibré entre politique et art cinématographique mais en plus c’est du politiquement correct:
Pour ne pas avoir à faire une 3è mise au point et prendre les devants: la question des réfugiés, des guerres civiles, des murs et frontières, des politiques militaro-économiques occidentales, de l’écologie politique, des sujets touchant la vigilance citoyenne face aux États de plus en plus intrusifs dans la vie quotidienne des gens, etc., etc., sont des sujets qui tiennent depuis toujours à cœur j:mag et singulièrement l’auteur (rédacteur en chef) de ces lignes. Nous en parlons tous les jours, ici ou sur les articles papier ou sur le vaste web ou dans la vraie vie dans un engagement quotidien! Nous sommes donc d’autant plus à l’aise pour dire que le cinéma a une fonction citoyenne, comme tout média. Mais le cinéma n’est pas qu’un média, c’est aussi un art. Et pour que sa magie opère, il faut aussi distinguer cette dimension pour qu’il ne finisse pas enfermé dans le formatage serré des petits écrans.
Et donc puisque nous parlons politique, parlons société: où sont 24 Wochen et Quand on a 17 ans dans ce palmarès? Nulle part. Voyez ces films et faites-vous votre opinion vous-mêmes, de manière critique, en vous posant quelques questions. Oui c’est important de parler de la Bosnie-Herzégovine. Mais – ô ironie de l’histoire – c’est devenu politiquement plus correct et consensuel de parler parler d’une guerre civile qui n’en finit pas de labourer le présent que de parler d’avortement tardif ou de la difficulté sociétale à se positionner vis-à-vis d’une sexualité ne correspondant pas à la norme. Voilà, maintenant nous restons ouvert au dialogue, mais avec des arguments plutôt que des anathèmes.
MaB]

Le festival de Berlin est traditionnellement, parmi les grands festivals, le festival le plus politique – ceci ayant peut-être à voir avec le fait qu’il ait été créé en 1951 par les Alliés occupant l’Allemagne pour en faire une vitrine du monde “libre”. Cette année, non seulement la sélection mais également les événements qui secouent le monde et singulièrement l’Europe avec la crise des réfugiés vouaient les palmarès (ceux des jurys indépendants également) à ne pas faire mentir cette réputation.
Mais un peu trop. Le cinéma semble avoir été parfois mis de côté au profit des sujets traités. C’est une opinion qui semble ne pas être partagée par certains de nos lecteurs qui ont réagit assez vivement sur Twitter à propos de cette interrogation. Pour éviter tous les malentendus, les prix attribués ne sont pas honteux, il suffit de voir notre palmarès alternatif diffusé cette après-midi et qui correspond en partie à celui du jury officiel. Enfin pas de honte, mais un scandale: l’attribution à la réalisatrice française Mia Hansen-Løve de l’ours de la meilleure réalisation. Un mystère des plus mystérieux… à moins que cela ne soit dû à une autre sorte de politique, celle qui se veut correcte.

Ours d’Or : Fuocoammare de Gianfranco Rosi, Italie.
La critique du film
Comme nous l’avons souvent dit durant le festival, ce film est d’une importance capitale. Pour son sujet, pour le but à atteindre, pour le cinéma et son genre documentaire. Dès sa projection il était évident qu’il aurait l’un des deux grands prix, c’est l’Ours d’or qu’il a décroché! Alors qu’en ce moment en Allemagne des manifestations et des attaques contre les réfugiés se multiplient, avec pour relai des personnalités politiques, que des pays de l’UE se barricadent derrière des frontières de barbelés comme au bon vieux temps de la Guerre froide, que des États instaurent la confiscation des biens de valeur des réfugiés, un festival de cinéma majeur permet à un film, fait pour ouvrir les yeux du monde sur une tragédie qui n’est plus qu’une litanie de chiffres qui passent quotidiennement dans les informations, perdant au passage toute forme d’incarnation, d’être mis en avant de l’actualité. Fuocoammare redonne humanité aux individus qui cherchent refuge de ce côté de la Méditerranée.

Le plus émouvant dans cette histoire, c’est le rapport que Gianfranco Rosi a établi avec la population de Lampedusa, rapport qui se retrouve dans l’émotion du docteur Bartolo, protagoniste du film qui a accompagné le réalisateur à Berlin, que l’on a pu voir à la remise du prix.

Gianfranco Rosi et le docteur Bartolo - Ours d'or pour Fuocoammare, Italie. © Malik Berkati
Gianfranco Rosi et le docteur Bartolo – Ours d’or pour Fuocoammare, Italie.
© Malik Berkati

Docteur Bartolo avec des larmes dans la voix:

Il y a tant de gens qui fuient les souffrances et la guerre. Je remercie Berlin car ce témoignage est important: nous sommes des gens endormis qui ne veulent pas se réveiller. [presque en pleurs] Nous devons créer les conditions de vie pour que toutes ces personnes puissent être accueillies avec dignité. (…) Nous sommes tous des éléments d’une chaîne qui doit changer les choses: Rosi avec son documentaire, moi avec mon témoignage, vous les journalistes avec vos articles, la Berlinale avec ce prix. La mer c’est la vie, cela ne devrait pas être un cimetière.

En réalité, on dit que ce film parle de politique, mais en il parle simplement d’humanité. C’est ce qu’il ressort des propos du docteur Bartolo et de Gianfranco Rosi qui ajoute:

Le moment où j’ai basculé c’est lorsque je me suis trouvé sur un bateau au milieu de la mer et que j’ai vu l’état dans lequel se trouvaient les gens, parfois morts. Quand j’ai dû faire face à ce bateau, j’ai compris qu’il fallait que tout le monde y soit confronté et le voit, que je devais trouver le courage de film cette réalité et de la montrer. Nous avons une responsabilité collective, c’est devant nos yeux chaque jours. C’est un crime et nous devons le dire!

Sur le genre documentaire Rosi a ces très belles paroles:

Le genre documentaire en Italie est très avancé car il rompt avec les barrières du genre, floute les frontières entre la réalité et la fiction, utilise le langage cinématographique. La vérité que l’on cherche, c’est ça le cinéma, pas besoin de se limiter par des barrières de genre.

Grand Prix du Jury, Ours d’Argent : Danis Tanović pour Smrt u Sarajevu / Mort à Sarajevo

La critique du film
Très étonnant ce prix. Personne n’a voulu être trop critique après sa première projection. Par respect pour le sujet. Une sorte d’auto-censure collective pour le bien commun. Mais puisqu’il a eu un prix – et pas des moindres – nous nous permettrons de réitérer cette remarque: c’est un bon téléfilm, à voir assurément, mais il ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma.

Danis Tanovic - Ours d'argent Grand prix du jury pour Smrt u sarajevu / Mort à sarajevo - Bosnie-Herzégovine / France © Malik Berkati
Danis Tanovic – Ours d’argent Grand prix du jury pour Smrt u sarajevu / Mort à sarajevo – Bosnie-Herzégovine / France
© Malik Berkati

Prix Alfred-Bauer-Preis pour l’innovation, un film qui ouvre une nouvelle perspective, Ours d’Argent : Lav Diaz pour Hele Sa Hiwagang Hapis (A lullaby to the Sorrowful Mystery)

La critique du film
Soyons clairs: le fait d’avoir été sélectionné assurait quasiment à ce film de plus de 8h un prix quel qu’il soit. On ne défie pas le public, le jury et les journalistes avec une telle expérience pour la laisser se perdre dans les annales d’un festival. D’ailleurs, en grand habitué des festivals (et pour cause, au cinéma son œuvre atypique est plus difficile à distribuer) il a déjà gagné des prix importants à Venise et Locarno. Ceci étant établi, puisque prix il devait recevoir, le Alfred-Bauer-Preis est celui qui est le plus approprié pour récompenser le travail du cinéaste philippin et le moins dommageable pour le rendu global du palmarès.

Lav Diaz, Alfred-Bauer-Preis, Ours d’Argent pour Hele Sa Hiwagang Hapis - Philippines / Singapour © Malik Berkati
Lav Diaz, Alfred-Bauer-Preis, Ours d’Argent pour Hele Sa Hiwagang Hapis – Philippines / Singapour
© Malik Berkati

J’ai commencé ce projet il y a 17 ans. Mais lorsque j’ai voulu tourné, j’ai été confronté à des problèmes politiques puis financiers. Ce n’est qu’il y a deux ans que les choses se sont décantées quand Paul Soriano [au milieu avec le cinéaste sur la photo] m’a dit qu’il allait mettre de l’argent dans le projet. C’est ça la magie du cinéma: maintenant on est là et on gagne un Ours. Merci à la Berlinale pour ça.

Prix de la meilleure réalisation, Ours d’Argent : Mia Hansen-Løve pour L’avenir

Cela faisait longtemps que nous n’avions pas eu un prix aussi tordu au festival de Berlin.
Certes durant cette Berlinale il n’y a pas eu de chef-d’œuvres, mais le niveau général était bien au-dessus de la moyenne. D’où sort ce prix? Il y a des pistes, mais qu’importe, c’est fait, c’est fait. Vous pouvez lire la critique là, mais pour ceux qui ne voudrait pas se donner cette peine (et combien on les comprend), voilà un résumé: une histoire éculée, une direction d’acteurs inexistante, des poncifs à donner la nausée de la première à la dernière minute de ce film à la limite de l’indigence. Le plus pathétique tient certainement dans les tentatives de la réalisatrice et de sa vedette principale – Isabelle Huppert – de nous faire croire que cette histoire est celle d’une femme forte qui se libère de son carcan et se retrouve enfin elle-même. N’allez pas voir ce film mais si, poussés par une curiosité dévorante et l’envie de perdre 18 francs, vous y allez tout de même, n’hésitez pas à nous expliquer en quoi ce personnage s’émancipe de lui-même – et puisque vous y serez, dites-nous également si vous voyez Nathalie quelque part dans Isabelle Huppert…

Mia Hansen-Løve, Ours d'argent pour la meilleure réalisation pour L'avenir - France © Malik Berkati
Mia Hansen-Løve, Ours d’argent pour la meilleure réalisation pour L’avenir – France
© Malik Berkati

Prix de la meilleure actrice, Ours d’Argent : Trine Dyrholm pour Kollektivet de Thomas Vinterberg

Beaucoup de beaux rôles de femmes dans cette 66è édition. Mais c’est avec évidence que l’actrice danoise est récompensée pour son rôle à multiples facettes et couleurs d’émotions qu’elle rend parfaitement. Tout est dit ici dans la critique.

Trine Dyrholm, Ours d'argent de la meilleure actrice dans Kollektivet - Danemark © Malik Berkati
Trine Dyrholm, Ours d’argent de la meilleure actrice dans Kollektivet – Danemark
© Malik Berkati

Très touchant de voir cette actrice émue par ce prix alors qu’elle possède une reconnaissance internationale. Lors de la cérémonie de remise des prix, Thomas Vinterberg avait les larmes aux yeux de voir son actrice, avec laquelle il avait eu son premier et plus grand succès – le film labellisé Dogma95 Festen, récompensée. Devant les journalistes Trine Dyrholm n’a pas manqué de lui rendre hommage avec beaucoup d’humilité:

Je suis très contente pour Thomas. Il avait reçu le prix pour le meilleur acteur [pour Mads Mikkelsen dans La Chasse en 2012, N.d.A.] et maintenant celui pour la meilleure actrice à Berlin. C’est un très grand directeur d’acteurs.

Prix du meilleur acteur, Ours d’Argent: Majd Mastoura pour Inhebekk Hedi de Mohamed Ben Attia qui a également gagné le prix (toutes sections confondues) du premier film.

Le prix du meilleur premier film: parfaitement d’accord. Le prix pour le meilleur acteur, c’est un peu exagéré, surtout au regard de la prestation incomparable du suisse Kacey Mottet Klein et du français Corentin Fila dans Quand on a 17 ans. Majd Mastoura joue bien son rôle, c’est vrai, mais dans une tonalité monocorde une grande partie du film même s’il s’éveille à quelques émotions dans la dernière partie. Son personnage manque de nuances et son évolution n’est pas assez fine pour mériter totalement ce prix.
la critique du film

Majd Mastoura, Ours d'argent du meilleur acteur pour Inhebekk Hedi - Tunisie © Malik Berkati
Majd Mastoura, Ours d’argent du meilleur acteur pour Inhebekk Hedi – Tunisie
© Malik Berkati

Avant de quitter la salle, Majd Mastoura lance:

Nous sommes un peuple très accueillant, s’il vous plaît, venez nous rendre visite en tant que touristes et par la même vous combattrez avec nous le terrorisme.

Puis dans un souffle tendu:

Que la révolution continue! Je dédie ce prix pour la jeunesse tunsienne qui s’est tant sacrifiée et souffre tant!

Mohamed Ben Attia, Prix du meilleur 1er film: Inhebbek Hedi - Tunisie © Malik Berkati
Mohamed Ben Attia, Prix du meilleur 1er film: Inhebbek Hedi – Tunisie
© Malik Berkati

Mohamed Ben Attia de son côté parle d’amour:

Avec la révolution, nous avons gagné beaucoup de choses mais on manque de tendresse et d’amour. Et moi je voulais montrer l’importance de l’amour. L’émancipation d’Hedi passe par la liberté de Rim, dont celle d’aimer.

La productrice du film ajoute:

Dans les films tunisiens – ou arabes en général – on parle beaucoup des femmes qui sont des victimes, et c’est vrai qu’elles le sont. Mais on ne se penche jamais sur l’homme tunisien ou arabe. Il y a un tel désarroi de l’homme dans la région…

Prix pour le meilleur scénario, Ours d’Argent : Tomasz Wasilewski pour Zjednoczone stany milosci (United States of Love) de Tomasz Wasilewski

Ce film polonais est un film très intéressant, du point de vue narratif comme dans celui de la cinématographie. Cependant, si l’idée de composition du récit est bonne, sa réalisation est inégale: des 4 histoires qui se croisent et s’entrecroisent, les plus intéressantes sont reléguées à la fin et traitées de manière beaucoup plus succinte. C’est pourquoi il y a un peu de perplexité à ce prix du scénario.
La critique du film

Tomasz Wasilewski, Ours d'argent du meilleur scénario pour Zjednoczone stany milosci - Pologne /Suède © Malik Berkati
Tomasz Wasilewski, Ours d’argent du meilleur scénario pour Zjednoczone stany milosci – Pologne /Suède
© Malik Berkati

Le réalisateur et scénariste polonais lance à la cantonade:

C’est la période du cinéma polonais, s’il vous plaît écrivez ceci, les gens doivent à présent regarder des films polonais!

Ce qu’il ne sait pas, c’est que dans l’imaginaire collectif, de tout temps, aimer/voir des films polonais – à moins que ce soit du Polanski, Kieslowski, et à l’extrême limite du Żuławski (qui vient malheureusement de nous quitter le 17 février), c’est être étiqueté au mieux cinéphile au pire cultureux étrange que l’on regarde avec un petit sourire en coin et un air entendu … et l’auteur de ces lignes en sait quelque chose…

Prix de la meilleure contribution technique, Ours d’Argent : Mark Lee Ping-Bing pour Chang Jiang Tu (Crosscurrent) de Yang Chao

Prix parfaitement mérité! Avec un paysage munificent mais dans des conditions de tournage difficiles – en hiver, toute une équipe dans un bateau sur le Yang-Tsé-Kiang – le caméraman a réussi à transposer sur l’écran la poésie de la mythologie d’un fleuve autant physique que magnifié, mais aussi les espaces exigus intérieur tout comme l’inquiétude qui se dégage des rives fantomatiques et maltraitées par l’action de l’homme. Lumière et obscurité, brume et luminosité, intérieur et extérieur, grandeur des paysages et petitesse du bateau… tous ces contrastes, Mark Lee Ping-Bing les travaille avec une palette de nuances qui invite au voyage.
La critique du film

Mark Lee Ping-Bing, Ours d'argent pour la meilleure contribution technique dans Chang Jiang Tu - République populaire de Chine © Malik Berkati
Mark Lee Ping-Bing, Ours d’argent pour la meilleure contribution technique dans Chang Jiang Tu – République populaire de Chine
© Malik Berkati

Vous pourrez retrouver d’autres critiques de nombreux films des sections parallèles dans les jours qui suivent ou lors de leurs sorties en salle. Merci de nous avoir suivis pendant ces 10 jours!

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

Journaliste / Journalist - Rédacteur en chef j:mag / Editor-in-Chief j:mag

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