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Berlinale 2015Cinéma / KinoCulture / Kultur

Berlinale 2015 – Compétition jour #2: Un Taxi pour 45 Years…et une Reine du désert qui prend l’eau

Le deuxième jour de la compétition a été extrêmement riche en contrastes. Le premier film nous a transportés dans le taxi cinématographique de Jafar Panahi, le second nous a fait traverser le désert grand public de Werner Herzog et avec le troisième nous avons remonté le temps d’une relation entre un homme et une femme. Autant le dire tout de suite, Taxi et 45 Years sont chacun dans leur genre admirables et à notre avis – bien que la Berlinale ne vienne que de commencer – « oursables », le film de Werner Herzog étant quand à lui à la limite de l’indigence.

Un taxi pour une carrière

Avec Taxi, Jafar Panahi sort de sa dépression filmée dans Pardé, traverse l’essai cinématographique de Ceci n’est pas un film pour nous transporter avec brio à nouveau dans un taxi-film qui fait semblant de ne pas en être un. Sur sa route, des scènes qui font la chronique d’une société malade.

Loin des allégories des derniers films, Taxi est un retour au néoréalisme qui fait tant peur au pouvoir et à la censure iranienne qui nomme cette perspective le « réalisme sordide ». On retrouve dans ce film les trois éléments classiques du cinéma iranien : la voiture, qui permet d’être à l’intérieur tout en filmant l’extérieur ; la figure de l’enfant qui peut dire et montrer de manière ingénue les travers de la société et des individus ; le téléphone qui autorise toutes sortes de transitions, hors-champs et effets (comiques, tragiques, etc).

Jafar Panahi - Taxi
Jafar Panahi – Taxi

Courageux et insolent, le réalisateur relève la tête, retrouve son humour, sort dans la rue puisqu’il n’est plus assigné à résidence, et guide avec son acuité habituelle notre regard sur les vicissitudes de la société iranienne qu’il dénonce depuis maintenant 20 ans à travers tous ses films. Un peu désespérant, Taxi peut être considéré comme un Reader’s Digest de son œuvre dont chaque film de référence est malheureusement toujours d’actualité. Le taxi avance mais rien ne semble bouger. La société en pleine déliquescence morale et en perte de repères semble même plus désabusée que jamais. Panahi lui-même figure métaphorique ne sait pas trop bien où il va, se perd et n’amène presque jamais ses clients à destination.
Après plusieurs clients qui permettent de dépeindre la société moderne dans laquelle les Iraniens tentent de surnager en abordant des sujets aussi graves que la peine de mort, la condition de la femme, l’accroissement de l’insécurité, en passant pas des travers plus globaux tels que l’économie grise, le trafic de DVD/CD piratés, Jafar Panahi va chercher sa nièce (plusieurs scènes avec la nièce rappellent avec insistance Le ballon blanc) – à l’impertinence et au bagou hilarants – qui va permettre de rentrer dans la partie qui concerne le cinéma (elle doit faire un court-métrage et veut participer à un festival : elle va donc lire les conditions que sa maîtresse a nommées pour qu’un film soit « distribuable »), sa propre situation ainsi que celle de son avocate, elle aussi cliente du taxi, elle aussi interdite à présent d’exercer.
Le constat désolant qui ressort de ces courses de taxi : « Tout le monde peut être volé, tout le monde peut être voleur dans cette société. »

Avec très peu de moyens, la facture du film est parfaite, que ce soit dans la réalisation et direction d’acteurs, pour la plupart non-professionnels ou des amis, comme dans la photographie. Comme à son habitude, Jafar Panahi prend son interdiction de tourner comme fil rouge et la détourne pour faire passer courageusement un message : le peuple du cinéma est peut être bâillonné, empêché, embastillé, mais il n’est pas mort.
À cet égard, la séquence de fin est parfaite, forte et limpide de par sa simplicité, l’image qui s’éteint alors que la caméra est volée puis arrachée, ne reste plus qu’un un écran noir, des voix… et une excuse incrustée: il n’y a pas de générique. C’est ainsi que par l’absurde Jafar Panahi renvoie aux autorités iraniennes la stupidité de leur interdiction : officiellement, ce film n’a pas de réalisateur. Et Le Cercle est bouclé…

Les autres films en référence dans ce long-métrage: Le miroir; Hors-jeu; Sang et or.

Taxi de Jafar Panahi ; Iran ; 2015 ; 82 minutes.

Nicole Kidman, Reine du désert

Avec ce long-métrage, Werner Herzog entre dans le cinéma grand public. Et il n’y est pas très à l’aise, c’est le moins que l’on puisse dire. Évidemment, il sait filmer. En même temps, filmer le désert et en ramener d’extraordinaires plans n’est pas le plus grand défi de l’industrie cinématographique.
Après l’exploratrice Josephine Peary racontée par Isabel Coixet dans Nadie quiera la noche, ce film dresse encore un portrait de femme forte : Gertrude Bell (Nicole Kidman, qui apparaît dans tous les plans), aventurière et espionne anglaise, amoureuse du Proche Orient et de la Péninsule arabique. Le seul (éventuel) intérêt de ce mélodrame sont les allusions récurrentes à l’histoire et la culture millénaires des habitants de cette partie du monde, ce dont les Occidentaux comme certains décérébrés de la région oublient trop souvent ; les pointes d’humour très britanniques et le rappel que l’Arabie Saoudite est une création des alliés vainqueurs de la Première guerre mondiale. Sinon, le film est ennuyeux – à moins d’aimer les histoires d’amour malheureuses filmées comme un roman à l’eau de rose par le réalisateur de Aguirre, la colère de Dieu… une prouesse ! – , le comble du ridicule étant de voir la figure de Lawrence d’Arabie incarné par Robert Pattinson.

Nicole Kidman - Queen of the Desert © 2013 QOTD Film Investment Ltd. All Rights Reserved
Nicole Kidman – Queen of the Desert
© 2013 QOTD Film Investment Ltd. All Rights Reserved

Synopsis en anglais

Queen of the Desert de Werner Herzog ; Nicole Kidman, James Franco, Damian Lewis, Robert Pattinson; USA; 2014; 128 min.

45 ans et un secret

Kate (Charlotte Rampling) est en pleine préparation de son anniversaire de mariage avec Geoff (Sir Tom Courtenay) lorsque son mari reçoit une lettre de Suisse qui le renvoie brutalement 50 ans plus tôt, lorsque sa petite amie de l’époque périt dans un accident en haute-montagne. Choqué, Geoff va se réfugier dans sa mémoire et se recréer le monde de jadis. Kate de son côté va tenter de rester concentrée sur le moment présent et le but de ses préparatifs, luttant par le pragmatisme contre l’anxiété et la jalousie qui l’envahissent à mesure que le jour de la fête approche.
Petit bijou de réalisation, ce film avance tout en finesse, la tension montant peu à peu, par petites touches (détails dans les regards, les gestes) dans l’intimité de ce couple, dans le secret que l’un d’entre eux porte, dans les émotions contradictoires qui les traversent. Rien d’extraordinaire dans cette histoire de couple vieillissant et pourtant rien de banal non plus, mais plutôt un rappel : toute relation est complexe, quelles que soient les apparences. Ici, le sentiment de perte est extrêmement bien rendu, le fil dramatique est tendu entre le passé et le présent, la relation de cet homme et cette femme étant pré-définie par quelque chose qui s’est déroulé au départ, sans que Kate n’en ait eu conscience avant. Ce sentiment de perte s’intensifie à mesure qu’ils entrent, pour Kate dans la révélation du secret, pour Geoff dans le monde romancé de sa jeunesse.
La réalisation et l’écriture du scénario sont certes excellentes, la subtilité et la justesse du jeu des acteurs n’en reste pas moins l’élément essentiel de la réussite de ce film. Ne quittez sous aucun prétexte la salle avant la fin de la dernière scène : Charlotte Rampling y raconte un en seul geste bouleversant son état émotionnel.

Sir Tom Courtenay, Charlotte Rampling - 45 Years Agatha A. Nitecka © 45 Years Film Ltd
Sir Tom Courtenay, Charlotte Rampling – 45 Years
Agatha A. Nitecka © 45 Years Film Ltd

45 Years de Andrew Haigh; Charlotte Rampling, Sir Tom Courtenay, Geraldine James, Dolly Wells, David Sibley, Sam Alexander, Richard Cunningham, Rufus Wright; Royaume-Uni; 2015; 93 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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