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Sortie du film de Michel Finazzi sur le milieu carcéral en Suisse romande: Bloc Central

La prison, un sujet délicat s’il en est !, que le grand public appréhende la plupart du temps par la marge, c’est-à-dire les faits divers qui émaillent l’actualité. L’originalité de Bloc Central du cinéaste Michel Finazzi, (re)connu pour ses documentaires et dont c’est ici le premier long métrage de fiction, est de nous faire entrer par deux portes opposées du système carcéral, celui d’un prévenu et celui d’un nouveau venu parmi les gardiens, ce qui permet d’entrouvrir les sas intermédiaires de la prison que sont par exemple les secteurs de la santé et des activités au sein de la prison. A cet égard, le réalisateur parle en connaissance de cause, il a animé des ateliers vidéo en milieu carcéral pendant 16 ans! Il a ainsi pu recueillir une somme d’anecdotes, d’histoires, d’expériences qui forment la trame de l’histoire du film.

 

Pascal Bonamy, un jeune promoteur arrogant, est incarcéré dans une une prison lausannoise, accusé de tentative de meurtre. Dans le même établissement, Daniel Ruchat débute son nouvel emploi d’agent de détention. les nouveaux arrivants sont tels le Candide, ils découvrent les arcanes pénitentiaires en même temps que nous. Ils sont nos sens dans ce monde par définition fermé au reste de la société. En regardant Bloc Central, nous devenons Candide aux côtés de Bonamy et Ruchat. L’entrée de Daniel Ruchat dans la prison permet de découvrir les infimes détails auxquels on ne pense pas, puisqu’il doit minutieusement apprendre son travail, les trucs et astuces des deux côtés des barreaux. Ce parti pris narratif très avantageux pour la compréhension renferme cependant un petit côté artificiel et didactique en surlignant parfois le propos par la parole et les explications données aux spectateurs par le truchement des gardiens de prison qui expliquent le métier à leur nouveau collègue, alors que les scènes se suffisent souvent par elle-même. Fort est de constater que si cet aspect gêne un peu au début du film, on l’oublie assez rapidement en entrant dans la vie organisée au cordeau de ce lieu; c’est donc que l’histoire proposée par Michel Finazzi est bel et bien prenante et attise notre curiosité pour cet univers qui, au fond, une fois démystifié, se perçoit tout bonnement comme le simple reflet de la société, avec de chaque côté des êtres humains dans lesquels, toujours de chaque côté, on peut reconnaître quelques-uns de nos propres traits.
À signaler la jolie et subtile idée de faire dessiner le prévenu Bonamy, ce qui renouvelle l’idée d’ellipse tout en renvoyant au dessin judiciaire, mais surtout la très belle scène finale, ressemblant à un ballet, avec une fluidité cathartique, en contre-point à la structure rectiligne des intérieurs de la prison.
Michel Finazzi a bien voulu répondre à quelques questions.

Est-ce moi ou vous avez choisi une focale qui écrase un peu les perspectives, principalement dans la cellule de Bonamy et N’Samba? Pouvez-vous un peu nous expliquer vos choix d’angles et d’objectifs ?

L’enfermement, le confinement, l’espace restreint (physique puis intellectuel)… comment l’exprimer ? Le choix de l’objectif s’est fait rapidement, logiquement. Ensuite, une mise en image reproduisant l’inactivité, la situation figée : les angles «restreints» me semblait indispensable.

— Bloc Central de Michel Finazzi
Image courtoisie Videovox Productions

Le travail sur le son et l’illustration sonore est remarquable et inhabituel ; ils participent activement à la narration et magnifiquement à l’ellipse! Était-ce déjà décidé ainsi à l’écriture ou cela est-il venu plus tard dans le projet ?

J’aime la musique et l’illustration sonore a toujours joué un grand rôle dans mes films, jusqu’ici des documentaires. Dans Bloc Central, les bruits de fond de la prison représentent une bonne authenticité. Je n’avais pas le droit de filmer les vrais surveillants, mais j’avais la prison comme actrice malgré elle.

Est-ce pour des raisons narratives que nous nous ne voyons pas d’espaces communs pour les détenus ou il n’y a vraiment pas d’espaces communs si ce n’est la salle de sport et les activités encadrées ?

La prison du Bois-Mermet date de 1904 et comporte très peu de locaux dévolus à autre chose que l’enfermement. Même avec des transformations au cours des années récentes, les locaux récréatifs sont restés rares. Il est à remarquer que le Bois-Mermet accueillait des détenus en majorité en attente d’un jugement. Par manque de place dans les établissements d’exécution en Suisse romande, environ la moitié des détenus sont des condamnés, ceci depuis quelques années déjà.

N’y a-t-il pas de différenciation entre les détenus condamnés et ceux en attente de jugement ? Par exemple le critère évoqué pour mettre dans la même cellule Bonamy et N’Samba est celui de la compatibilité de personnalités. Aurait-il été possible de mettre dans une même cellule un prévenu et un détenu ?

Je n’ai pas de preuve absolue, mais la compatibilité des deux détenus dans la cellule est plus importante que le critère que vous citez. Puis, les deux prisonniers ne doivent surtout pas être impliqués dans les mêmes dossiers. La lutte contre une éventuelle collusion est donc encore plus importante.

— Sandro De Feo – Bloc Central de Michel Finazzi
Image courtoisie Videovox Productions

Est-ce que les acteurs ont préparé leurs rôles dans les 3 catégories principales avec de réels (ex-)détenus, (ex-)gardiens, (ex-)éducateurs ?

Non, le Service pénitentiaire ne l’aurait pas permis. Les employés n’ont pas le droit de s’exprimer envers des tiers, secret de fonction oblige. Les acteurs ont participé à des exposés organisés par moi-même. J’en étais le « conférencier ». Puis, pour chaque nouveau groupe d’acteurs arrivant sur le lieu de tournage, le surveillant-chef donnait un long briefing sur le fonctionnement de la prison.

S’il ne fallait en citer qu’une, quelle a été la plus grande difficulté de ce projet ?

Le manque de soutien financier et la frilosité des professionnels auxquels je voulais faire appel afin de me seconder artistiquement.

Comment avez donc financé ce projet alors ?

Je n’ai pas trouvé le financement et je suis devenu mon propre producteur. Il est à remarquer que cela est également de ma faute: le Service pénitentiaire, en 2014, ne souhaitant aucune publicité autour de ce projet, m’imposait une grande discrétion face aux médias et, par exemple, lors des rassemblements de l’équipe de tournage devant la prison. J’ai donc commencé à tourner seul, augurant que je pourrais trouver des co-producteurs par la suite, avec des rushes à la clé censés les intéresser. J’ai donc fait les choses à l’envers et, finalement, plus personne ne voulait de ce projet.

Vous parlez de « la frilosité des professionnels » : de quelle catégorie de professionnels s’agit-il et qu’est-ce qui selon vous leur a fait peur?

Dans le passé, mon terrain était exclusivement le documentaire et le reportage. Sachant que réaliser une fiction demande une formation et une expérience bien différente, je me suis rapproché de l’ECAL, département cinéma et j’ai obtenu des noms d’anciens élèves. Je leur ai demandé d’entrer dans le projet comme co-scénaristes, co-réalisateurs, cameramen/camerawoman. Mais, après des discussions et des critiques bienveillantes, personne ne voulait se joindre à moi. Peur du lieu de tournage et de ses conditions de travail, scepticisme quant à la pertinence du scénario de base, âge de l’initiateur (ses premiers travaux vidéo datent des années septante, N.D.A.)? Je me souviens surtout d’un commentaire: « Mais, c’est une occasion de se planter! »

Considérez-vous votre film comme entrant dans le genre re-enactment ?

En réalité, les acteurs ont constamment été placés en situation de réagir en fonction du lieu dans lequel ils évoluaient. Leurs rôles ont été imprégnés de l’ambiance et de leur questionnement, ce qui a donné plus d’authenticité à leur jeu.

De Michel Finazzi ; avec Jean-Philippe Ecoffey, Sandro De Feo, Vincent Rime, Miguel Blanc, Julien Opoix, Jean-Marc Hérouin, Alonso Leal Morado, Viviane Bonelli, Alexandra Papastéfanou, Isabelle Vallon, Olivier Périat, Caroline Moret, Michel Demierre, Djamel Benghazi ; Suisse ; 2018 ; 78 minutes.

Projections spéciales en présence du réalisateur et de l’équipe du film suivies d’un débat :

Lausanne :
Cinéma Bellevaux : lundi 12 mars 20h en présence de Daniel  Fink, criminologue, écrivain,  professeur à l’UNIL ; mardi 13 mars 20h
au Zinéma : mercredi 14 mars (sans précision de l’horaire pour le moment)
Neuchâtel : mercredi 21 mars à 20h00 au Cinéma MINIMUM
Oron : dimanche 25 mars à 18h00
Genève :  lundi 26 mars 20h aux Cinémas du Grütli
Orbe : vendredi 13 avril à 20h30 à l’Urba

Malik Berkati

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